Père Noël s'est déguisé en Père Noël
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Confortablement calé dans son fauteuil préféré, le Père Noël
compulsait une dernière fois à la lueur de sa chandelle la liste de
ses livraisons. Ses doigts allaient et venaient machinalement pour
tracer leur sillons dans l'ample blancheur de sa barbe qui s'éployait
sur son plastron. Mais la pensée du Père Noël s'estompait peu à peu
dans le va-et-vient hypnotique de ses doigts dans sa barbe. Par deux
fois il fit effort pour revenir à son ouvrage, et par deux fois la
voluptueuse indolence des caresses de sa pilosité le reprit. Si bien
qu'à la fin il s'endormit.

Voici alors ce qu'il advint. Un chat vivait dans la maison du Père
Noël. Fanstasque comme le sont les chats il avait ses marottes et ses
lubies. Et celui-ci n'aimait rien tant que de venir furtivement
s'installer sur la bedaine d'un Père Noël assoupi et ronronner au
mouvement qui se soulève et qui s'abaisse au rythme régulier de la
respiration du dormeur.

Pour atteindre ses fins et s'installer à l'insu de sa victime, le chat
devait emprunter milles ruses et détours. Il médita ce jour là de
sauter d'abord sur le bureau du Père Noël, puis, prenant doucement
appui sur un bras du fauteuil de se glisser sur la bedaine
convoitée. Or le chat, depuis le temps qu'il vivait dans la maison du
Père Noël était devenu vieux, et le bureau du Père Noël avait toujours
présenté un capharnaüm de livres, d'objets hétéroclites, de dossiers
et de paperasses entassées. Si bien qu'ayant bondi sur le bureau, le
chat posa la patte sur un crayon qui se trouvait là qui roula sous
l'impulsion d'un élan trop approximativement dosé. Emporté par cet
excés de mouvement, le chat tenta de stopper sa glissade d'une autre
patte en s'agrippant à un dossier qui dépassait d'une pile. Or, au
sommet de cette pile, le Père Noël avait placé la chandelle qui
éclairait sa lecture et qui, sous l'effet de l'effort que lui
infligeait la tentative de freinage du chat, bascula tout bonnement
pour atterrie, flamme en avant, en plein sur la barbe du Père Noël!

Ce dernier rêvait alors qu'il était invité à un méchoui des plus
étranges où l'on cuisait des bêtes entières sans même les avoir
dépecées. L'odeur de poil grillé en était si forte qu'elle éveilla le
dormeur. Hébété, affolé, le Père Noël se levait pour se précipiter
hors de la pièce lorsqu'il fut interrompu par une gerbe d'eau recue en
pleine figure: le vieux Groïm, le vieil intendant du Père Noël qui,
comme tous les lutins, comprenait le langage des chats et qui
travaillait dans la pièce à côté, avait été alerté par les miaulements
affolés du chat d'où parmi des dénégations embrouillées émergeait
clairement l'avertissement: « au feu! ». Le vieux Groïm qui, comme
tous les lutins, avait fait son apprentissage dans les ateliers de
bois du Père Noël, savait qu'en ces cas là, il faut se munir au
plus vite d'un sceau d'eau pour noyer l'incendie. Ce qu'il fit.

Nous venons de le voir, Groïm n'était pas lutin à se laisser démonter
par les évènements, mais là, devant un Père Noël ahuri, trempé de la
tête au plastron, il perdit peu à peu contenance et la bouche bée, les
yeux exorbités fixés sur le visage du Père Noël, il fit un pas en
arrière, balbutiant: «votre b..., votre b...». «Quoi ma b...,
qu'est-ce qu'elle a ma b... ?» s'insurgea la Père Noël en portant la
main à son menton... qu'il toucha ! Sa b..., sa barbe avait disparu !

Enfin, pour la plus grande partie. En promenant ses mains sur ses
joues, le Père Noël rancontra ça et là quelques touffes de poil que
la flamme avait épargnées. Groïm, remis de sa stupeur était sorti sans
un mot de la pièce et y revenait, muni d'instrumentss que le Père Noël
n'avait eu guère d'occasion de voir et encore moins d'utiliser: un
rasoir, un blaireau et du savon à barbe. L'air navré, le vieux lutin
tendit les terribles engins au Père Noël dont ce fut le tour de rester
stupide avant d'esquisser un mouvement de recul devant la menace
brandi par le brave Groïm.

Ce dernier ne perdit pas de temps à expliquer la fatale nécessité
d'agir de manière radicale sur ce qui restait de pilosité sur le
visage du Père Noël. Il lui dit simplement «Asseyez vous Père Noël, je
vais le faire». Et le Père Noël accablé regagna son fauteuil et ferma
les yeux. La chose fut faite avec autant de douceur que de
dextérité. Et lorsque le Père Noël osa enfin réouvrir les yeux, le
délicat Groïm avait déjà fait disparaître les lambeaux de la barbe que
son rasoir avait impitoyablement fait tomber à terre. Le Père Noël
sentait sur son visage l'étonnante sensation d'un léger courant
d'air. De peur de retrouver la sensation qui lui été apparue si
désagréable du contact de sa peau nue, il se refusait à approcher ses
doigts de son visage.

Ses yeux s'embuèrent, lorsque s'approchant de la vitre assombrie par
la nuit commençante, il vit le reflet de son menton et de ses
joues. «Je..., je ne peux pas sortir ainsi, murmura-t-il». Mais
l'efficiant Groïm avait encore prévenu la sitation et, les yeux
baissés pour ne pas voir ce visage tout à la fois familier et inconnu,
il tendit au Père Noël un luxuriant postiche de barbe de Père Noël
qu'il avait pris au magasin des déguisements de Père Noël. Et c'est
ainsi que cette année, le Père Noël se déguisa en Père Noël.

Enfants, si vous croisez le Père Noël, n'ayez pas la cruelle curiosité de
tirer sur sa barbe pour vous assurer de son authenticité; évitez lui
le honte de révéler son menton nu sous le postiche.