Le Père Noël dans la tempête
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L'Autan menait les nuages à grand train roulant pêle-mêle le gris de l'un dans
la blancheur de l'autre. Les cîmes des sapins des collines du Nord
ployaient en longues vagues sous le souffle glacé d'Aquilon. Nimbée
de ses gerbes poudreuses la Risée accourait de la plaine du Sud. Elle
tourbillonnait sur le grand lac gelé et finissait sa course dans les
branches frêles des bouleaux dont elle faisait tinter le givre.

Les rennes du Père Noël encensaient, agitant leurs grelots. Mais 
le premier d'entre eux, le vieil Albert, le cou tendu, le naseau dilaté,
l'oreille droite écoutait la rumeur, inspirait la senteur des humeurs
ombrageuses des vents.

Les lutins silencieusement inquiets s'affairaient à vérifier
l'équilbre et l'arrimage du chargement. Groïm gromnelait plus qu'à son
habitude, houspillant l'un ou l'autre d'un geste sec de la tête,
n'osant dire mot, de peur de trop laisser paraître sa désapprobation
d'un départ dans des conditions météorologiques aussi peu sûres.

Le Père Noël sortait de sa cabane. Il voyait le pêle-mêle qu'Autan
mettait aux nuages. Il entendait l'aigu du sifflement lointain d'Aquilon dans
les sapins. Il avait suivi les ardents badinages de Risée et de la neige, de
la plaine au grand lac. Il rabattit son capuchon. Une brise déjà
faisait frissoner la fourrure de sa bordure. Le Père Noël pensait à
tout cela en avançant ses pas vers le traineau.

Dès qu'il se fût assis sur la banquette du traineau, les lutins
l'installèrent bien au chaud pour le voyage à grand renfort de
couvertures moletonnées à souhait. Groïm, affectueusement taciturne,
déposa dans sa main le bout du filin de sécurité dont il avait
lui-même vérifié les attaches.

Le Père Noël avait à peine claqué la langue, les rennes avaient à
peine eut le temps de s'arcbouter pour l'envol qu'une raffale se
glissant sous les patins du traineau souleva un à un les sabots de
l'attelage pour emporter le tout vers le chaos des nuages.

Le Père Noël inquiet voyaient les rennes désemparés de se voir dans
les airs avant qu'ils n'en eussent donné l'impulsion. Il sentait dans
son dos l'arrimage des colis mis à mal. Il cria au vieil Albert, son
premier renne, de reprendre l'attelage en main. Il noua à son poignet
le filin de sécurité et entreprit de se retourner pour aller serrer
les sangles qui maintenaient son précieux fardeau. La raffale se fit
bourrasque et elle le fit passer par dessus bord si bien qu'il se
retrouva pendant au bout du filin, à la remorque du traineau qui
incurvait sa folle course pour reprendre sa route.

Le Père Noël n'y avait jamais songé, qu'il pût ne pas remonter dans le
traineau, qu'il pût disparaître à jamais dans l'immensité du monde,
que l'on trouverait un jour son corps, sans qu'il y fût.

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Sur le chemin du retour, les vents s'étaient calmés. Aucune perte de
cadeau n'avait été à déplorer. Les rennes goutaient le calme de ce
retour après la tempête qu'ils avaient essuyé à l'aller. L'esprit
libéré des soucis de la distribution, le Père Noël songeait.