«Le Père Noël n'Existe Pas !»
Le grand hall de la gare résonait de son habituelle peuplade des touristes hébétés de trains de nuit; des mères de famille aux bagages trop lourds oùs'accrochent les enfants. Les militaires avinés croisaient les clochards abrutis de mauvais vin. Les banlieusards toujours pressés n'avaient pas un regard pour la folle qui berçait sa poupée de chiffons.
Il pénétra dans ce tohu-bohu entouréde sa mère, de sa meuf' et des quelques poteaux rescapés des agapes d'hier. Il était làpour prendre un train qui l'emportera vers une petit ville àquelques kilomètres au-delàde la frontière. Là-bas, oùil ne connaissait personne, on lui mettra la boule àzèd', on le fera dormir avec d'autres comme lui dont on aura raséles douilles. On le fera courrir, marcher sur ordre: on lui fera faire comme àla guerre.
Il s'orienta dans ce tohu-bohu vers le quai oùle train qui devra l'emmener l'attendait. Et d'autres comme lui, la tête pleine des bruits de la gare et des images des mois àvenir, se dirigeaient vers le train. Sa mère parlait sans cesse alors que sa fiancée silencieuse s'accrochait àsa main. Les copains rigolaient encore de la nouba d'hier et lui promettait une pareille dés sa première perm'.
Arrivédevant le wagon, il posa son sac pour leur serrer la pince; ils se donnèrent quelques bourrades comme font les hommes quand ils n'osent pas s'embrasser. Sa mère qui parlait toujours, il l'embrassa. Sa meuf', sa fiancée, il l'embrassa de tout son corps.
Et sa mère parlant toujours lui disait: «Mon fils, tu vas partir aujourd'hui àl'armée. Alors, mon fils, il faut qu'aujourd'hui je te dise quelque chose d'important, quelque chose qu'une mère doit dire àson fils quand il part àl'armée.» Elle parlait un peu fort et tous autour d'elle écoutaient. Elle dit encore : «Ecoute mon petit, ta maman va te dire une chose que tu dois savoir avant de partir loin d'elle : Le Père Noël n'Existe Pas ! »
Il y eut comme un moment de silence et la mère partit àrire. Les copains, la fiancée même la suivirent. Ceux qui montaient dans le train se retournaient en souriant. Alors il prit son sac, se tourna vers sa mère pour lui dire : «Vas-y, casse toi» et il monta dans le wagon se chercher une place.
Lorsqu'il fut installéet que le train partit, la mère, la fiancée et les copains se dirigèrent vers la sortie en répétant «Le Père Noël n'existe pas ! » Ils riaient encore tant qu'ils ne virent pas, lorsqu'ils croisèrent ce clodo claudiquant en ralant, combien sa barbe aujourd'hui jaune et sale avait du être blanche; combien le manteau sale et loqueteux qui l'enveloppait avait du être rouge...
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