In memoriam

Le Père Noël, ce jour là, vérifiait le rôle de sa prochaine tournée quand l'un des minuscules elfes ailés affectés à la transmission télépathique se posa sur son épaule. Continuant à compulser sa liste, le Père Noël inclina son oreille vers le murmure du petit être. Son doigt qui glissait le long des lignes du papier marqua un temps d'arrêt; « quand ? », marmona le Père Noël. L'elfe télépathique lui donna la réponse et le Père Noël demanda encore « comment ? ». Le petit être lui répondit et le Père Noël soupira « merci ». L'elfe fit vribilloner ses ailes translucides et quitta l'épaule du Père Noël.

Le doigt du Père Noël reprit machinalement sa descente le long de la colonne de chiffres et de noms mais ses yeux quoique toujours fixés sur le papier ne lisaient plus. Ils ne voyaient qu'un nom, un prénom inscrit dans la pensée du Père Noël. Sa mémoire s'ébranla por apporter les éléments d'un visage: un sourire, un regard, le blanc de ses cheveux. Le souvenir de sa voix vint en écho dans le silence qui s'était fait dans la pensée du Père Noël.

Le discret grincement de la porte qui s'ouvrait attira l'attention du Père Noël qui rêva un instant le voir entrer. Il était responsable du service du courrier du Père Noël et ne manquait jamais de venir solliciter l'avis du patron lorsque les sentiments exprimés dans une lettre réclamaient une réponse personnelle. Le Père Noël et lui profitaient de l'occasion pour passer un moment à évoquer quelques souvenirs, partager les nouvelles des uns et des autres, goûter le plaisir d'une affection commune.

Mais au lieu de la silhouette attendue, ce fut celle du vieux Groïm qui se glissa par la porte entrebaillée. A sa vue, le regard du Père Noël se dessilla. Incapable toutefois de chasser de son esprit la nouvelle qu'il venait de recevoir, Le Père Noël dit à son vieil assistant: « tu te souviens de ... ? mais oui, bête que je suis, tu le vois presque toutes les semaines, surtout en cette période. Tu te souviens de sa coquetterie désuète de porter toujours un noeud papillon au bureau ? Et combien il était soucieux de bien faire ? Toujours prévenant, toujours prévoyant. Et bien dis-moi alors pourquoi ce nigaud est mort comme ça, sans prévenir ? »