Rencontre avec Christina Boura, professeure des universités

Forte de sa curiosité, Christina est passionnée par son domaine, la cryptographie, qu'elle aime développer et voir évoluer. Si travailler avec elle est gage d'engagement et de fiabilité, ce sera aussi l'occasion de rencontrer une passionnée d'arts, que ce soit de musées ou de cinéma. Rencontre avec Christina Boura, nouvelle professeure des universités à l'IRIF.

“Dans le cadre de ma recherche, je m'intéresse plus particulièrement à l’étude de la sécurité des chiffrements et autres primitives symétriques. C’est ce qu’on appelle la cryptanalyse. C'est un travail très important qui n'a pas de limites, puisqu'il y a toujours de nouveaux chiffrements ou d'autres primitives cryptographiques symétriques à étudier, de nouvelles techniques de cryptanalyse à concevoir ou d’autres à améliorer et à généraliser.” Christina Boura, professeure des universités | Pôle Algorithmes et structures discrètes - Équipe Algorithmes et complexité.

Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?

Je suis à moitié d'origine grecque du côté de mon père et à moitié d’origine russe du côté de ma mère. J'ai vécu la plus grande partie de mon enfance en Grèce, à Athènes.
J’aimais beaucoup les mathématiques et dès la seconde, c'était assez clair pour moi que je voulais étudier cette matière. Je me suis donc naturellement inscrite au département de mathématiques à l'Université Nationale d'Athènes et après quatre années d'études, j'ai obtenu un diplôme équivalent à un M1.

J’ai ensuite souhaité poursuivre mes études à l'étranger. A l'époque, je m'orientais plutôt pour partir vers l'Angleterre, parce que ça me semblait être un choix naturel, notamment à cause de la langue. Je voulais postuler dans une université comme Oxford ou Cambridge. Lors d’une soirée étudiante, j’ai rencontré quelqu'un qui s'apprêtait à s'installer à Paris et étudier à l’Université Paris VII, pour faire un master de mathématiques. C’est lui qui m'a dit que les universités Parisiennes sont bien mieux réputées en mathématiques, les mathématiciens très forts et également, point non négligeable, que les universités sont gratuites. Il a également ajouté un argument infaillible, que vivre à Paris, c'est tout de même bien mieux que vivre dans la campagne anglaise ! Il a réussi à me convaincre alors que je ne parlais pas un mot de français et c’est comme ça que je me suis inscrite au Master de Mathématiques Fondamentales de l’Université Paris VI.

J’y suis restée un an, ça s'est bien passé, mais je me suis rendue compte que les mathématiques pures n'étaient pas ma passion, il me fallait quelque chose de plus appliqué. J’avais entendu parler de la cryptographie lors de mes études en Grèce et j'ai donc cherché à faire un master de cryptographie à Paris. J’ai trouvé celui de l’Université Paris VII, l’actuelle Université Paris Cité dans laquelle j’enseignerai très bientôt ! Lors de mon année à Paris VII, j’ai eu la chance de faire mon stage dans l'entreprise Gemalto qui était spécialisée dans les cartes à puce (aujourd'hui rachetée par Thalès). Ça m'a donné envie de faire de la recherche, j’ai donc naturellement poursuivi avec une thèse. J'ai eu une chance incroyable d’avoir comme directrice de thèse Anne Canteaut chercheuse à l’Inria Paris Rocquencourt. C’est elle qui m'a transmis l'amour de la cryptographie symétrique, qui est aujourd’hui devenu mon métier, mais qui m’a également transmis sa façon de travailler et de faire la recherche.
Je me sens vraiment chanceuse de l’avoir croisée sur ma route, car notre rencontre et collaboration ont été déterminantes pour ma carrière. A la suite de ma thèse, j'ai eu une bourse pour réaliser un post-doctorat à Copenhague où je devais rester deux ans, mais j'ai finalement obtenu un poste de maîtresse de conférences, qui a commencé en septembre 2013 à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, où je suis restée depuis.

J'ai donc travaillé 11 ans dans cette université, des années très heureuses, où je me suis vraiment épanouie. Je suis tout de même très heureuse de changer et d’arriver à l’Université Paris Cité.

En quoi consiste votre travail de recherche ?

Mon domaine de recherche est la cryptographie symétrique. La cryptographie, c'est la science qui s'intéresse à la sécurité des données, lorsqu'elles sont par exemple transmises à travers un canal de communication comme Internet ou le téléphone.

Imaginons Alice et Bob qui veulent s'envoyer des messages confidentiels : pour cela, Alice va utiliser ce qu’on appelle le chiffrement. Elle va chiffrer le message qu'elle veut envoyer à Bob en utilisant un algorithme de chiffrement et une clé. Bob, de son côté, pour déchiffrer le message et lire le contenu, va utiliser l'algorithme de déchiffrement associé et une clé. Pour des raisons évidentes, la clé qui sert à déchiffrer le message doit rester secrète, sinon tout le monde peut déchiffrer et accéder aux messages qui nous sont destinés. Par contre, la clé qui sert à chiffrer le message est beaucoup moins sensible, et ce n’est pas grave si tout le monde peut chiffrer des messages avec, elle peut donc rester publique ou tenue secrète.

Deux grandes familles cryptographiques se dessinent : d’un côté, si la clé de chiffrement est publique, on parle de la cryptographie à clé publique, et de l’autre, si la clé de chiffrement est secrète et en particulier si elle est exactement la même que la clé de déchiffrement, on dit qu'on a affaire à de la cryptographie à clé secrète, donc de la cryptographie symétrique, ce qui est mon domaine de recherche.

Dans le cadre de ma recherche, je m'intéresse plus particulièrement à l’étude de la sécurité des chiffrements et autres primitives symétriques. C’est ce qu’on appelle la cryptanalyse. C'est un travail très important qui n'a pas de limites, puisqu'il y a toujours de nouveaux chiffrements ou d'autres primitives cryptographiques symétriques à étudier, de nouvelles techniques de cryptanalyse à concevoir ou d’autres à améliorer et à généraliser.

De manière globale, de nombreux algorithmes apparaissent chaque année, pour de nouveaux besoins, ou bien dans le cadre d’un processus de standardisation, et il est nécessaire de les analyser pour être sûr du niveau de sécurité qu'ils offrent, afin de pouvoir les implanter par exemple dans des produits commerciaux.

Quels sont justement les cas concrets d'utilisation de ces chiffrements ?

Lorsqu'on se connecte sur un site pour accéder à notre banque ou à notre mail, il y a toujours de la cryptographie pour assurer la confidentialité des données qui sont échangées ainsi que vérifier l'authenticité, pour être sûr que le site auquel on se connecte est vraiment celui que l'on souhaite visiter, qu'il n’est pas un site pirate. On chercher également avec des algorithmes cryptographiques à s'assurer de l'intégrité, c'est à dire que les messages envoyés n’ont pas été altérés. C’est très utile par exemple lorsqu’on souhaite installer un logiciel et qu'on veut être certain que c'est le vrai logiciel qu’on télécharge.

Lorsqu'on passe des appels téléphoniques, nos téléphones utilisent des algorithmes cryptographiques également, pour assurer la sécurité des données échangées. Chaque nouvelle génération de téléphones avec notamment la 3G, 4G, 5G, entrainent la création de nouveaux algorithmes puisqu'il y a de nouveaux besoins en termes d'efficacité, de débit, etc.

Mais la cryptographie est vraiment partout : dans les passeports électroniques, dans le pass Navigo, la carte vitale… Il y a aussi un grand besoin d'utilisation d'algorithmes cryptographiques pour de nouveaux usages, notamment avec le développement de l'internet des objets. Ce sont de petits objets connectés présents un peu partout dans l'environnement et qui peuvent traiter des données sensibles ; par conséquent, ils doivent également être sécurisés. Ces nouveaux usages entraînent notamment la nécessité de concevoir de nouveaux algorithmes qui soient, par exemple, moins gourmands en énergie ou pouvant être implémentés avec des circuits de petite taille.

D’où vient votre passion pour ce domaine ?

Comme échangé plus haut, ma rencontre puis mon travail de thèse avec Anne Canteaut, directrice de recherche à l’Inria Paris-Rocquencourt a été complètement déterminant pour moi. En plus, elle a été élu femme scientifique de l'année dernière, ce qui me ravie ! Elle m'a vraiment aidée, c’est elle qui m'a donné la passion pour ce métier et qui m'a appris comment faire de la recherche de la bonne façon c’est-à-dire de manière intègre et éthique.

Ensuite, je trouve que mon métier est très amusant, parce qu'on cherche à trouver des failles dans les algorithmes cryptographiques. Le plus souvent, on cherche d'abord à détecter des propriétés non aléatoires, que l'on essaie ensuite de transformer en attaques pour tenter, par exemple, d'extraire la clé secrète. C'est un métier qui m’amuse beaucoup et qui est très utile.

Ensuite, je pense que la passion vient aussi du fait que j'appartiens à une communauté bienveillante qui est relativement petite à l'échelle internationale mais qui est très dynamique. On se retrouve très régulièrement lors de conférences ou bien grâce aux groupes de travail. Comme tout le monde est passionné, ça alimente l’enthousiasme. J’aime beaucoup lorsqu'on se réunit entre chercheurs de différents pays et on essaie d'attaquer un algorithme concret. Chacun a sa spécialité : un chercheur sera plus fort dans les attaques algébriques, un autre dans les attaques statistiques, et ça, c'est vraiment très enrichissant.

C'est donc cet aspect de travailler en commun qui vous intéresse, de pouvoir échanger ?

Tout à fait, je n'aime pas travailler seule, donc j'ai beaucoup travaillé en groupe en développant de nombreuses collaborations. Je travaille toujours beaucoup avec les membres de l'équipe Cosmiq, de l’Inria Paris, où j’ai fait ma thèse, en particulier avec María Naya-Plasencia. Je collabore aussi avec des collègues à Versailles et à Rennes. J’ai également d'autres collaborations à l'international.

Qu’est-ce que vous espérez développer à l’IRIF ?

Tout d’abord, la cryptographie symétrique est un domaine de l'informatique qui n’est pas présent au sein de l’IRIF et que je souhaite naturellement développer. Je mesure la chance que j’ai d'arriver dans une équipe et dans un laboratoire qui compte parmi ses membres des spécialistes reconnus en algorithmique. Dans la cryptanalyse, on rencontre très souvent des problèmes d'algorithmique et pouvoir collaborer avec d’autres chercheurs spécialisés dans ce domaine sera très intéressant.

En parallèle, j'ai tout récemment commencé à m'intéresser à l’interaction entre les réseaux de neurones et la cryptographie. C’est une direction que je trouve prometteuse et que je souhaite développer, pour comprendre plus précisément comment s'attaquer aux réseaux de neurones, dont on ne connaît pas les paramètres internes. Nous souhaitons justement extraire ces derniers en utilisant des méthodes de cryptanalyse. C’est un domaine dans lequel il y a eu des avancées significatives ces quelques dernières années mais qui reste à être exploré. C'est un domaine un peu à côté de ce que j'ai fait, mais que j’ai l’ambition d'enrichir, en commençant par prendre des étudiants en thèse, en cotutelle avec Singapour, pour travailler sur ces thématiques.

Quelles seraient les prochaines étapes de votre parcours professionnel ?

Pour le moment, j'ai juste envie de continuer d’exercer mon métier. Mon domaine de recherche est relativement récent par rapport à d'autres domaines de l'informatique, il y a donc de nouvelles directions et défis qui s'ouvrent à nous très régulièrement. Il y a de nouveaux types de systèmes à développer, des nouvelles attaques à comprendre et améliorer ainsi que de nouvelles cibles à attaquer.

En parallèle de mon métier de chercheuse, je dédie la moitié de mon temps à l’enseignement, que j’aime beaucoup faire ; j’ai envie de développer de nouvelles matières et également continuer les activités de médiation que je faisais avant. Je trouve que c'est important d'essayer de donner le goût de l'informatique et de la recherche aux élèves et plus particulièrement aux jeunes filles. Ça m’importe beaucoup de faire ces actions de médiation, c'est vraiment très important pour encourager les filles à aller vers les métiers de l'informatique. Je fais des speed meeting, j'organise des ateliers, je donne des exposés et j’interviens dans les collèges.

Avez-vous une anecdote professionnelle (ou personnelle) à partager ?

La principale conférence du domaine de la cryptographie symétrique s'appelle Fast Software Encryption (FSE). Elle existe depuis 30 ans, c'est un événement très important pour notre communauté. On se retrouve tous les ans, en mars, et depuis un moment je me disais que j'aimerais bien l'organiser à Athènes, ma ville d’origine. J’ai donc décidé de le faire, j'ai tout préparé seule, je n'avais pas d'équipe sur place, c'était donc assez compliqué, et ça m’a pris beaucoup de temps. Pas de chance, c'était prévu pour mars 2020, dans le fort de la crise Covid. Tout était prêt, toutes les inscriptions étaient faites, tout était payé, et on a dû annuler deux semaines avant le début. Il a fallu rembourser tous les participants, ce qui était assez laborieux. On s’est dit que comme on avait déjà pratiquement tout payé, on ne pouvait pas se permettre de perdre l'argent, on a donc reporté l’évènement à novembre 2020, qui était la deuxième vague de Covid ! Il a fallu de nouveau tout ré-annuler.

On a finalement réussi à se réunir en mars 2022. C'était la première conférence post-Covid que l'on faisait dans la communauté crypto, donc il n'y avait pas beaucoup de monde, 75 personnes, mais tous les gens qui étaient là étaient très contents. J’imaginais qu’organiser une conférence serait plus facile que ça ne l’a été !

Vous avez coédité deux livres, pourriez-vous nous en parler ?

Ce sont deux livres sur la cryptographie symétrique, qui font partie d'une plus large collection de livres sur le thème “Cryptographie, sécurité des données”, qui elle-même fait partie d’une collection qui s’appelle SCIENCES. Nous avons coédité avec María Naya-Plasencia ces deux ouvrages dans lesquels nous avons invité une trentaine d’experts internationaux qui ont chacun écrit un chapitre d’une dizaine de pages.
Le premier ouvrage est principalement consacré aux différents principes de conception utilisés en cryptographie symétrique et aux preuves de sécurité. Le deuxième ouvrage est consacré à la cryptanalyse, où nous avons écrit des chapitres sur chacune des plus importantes techniques de cryptanalyse. Il y a également une partie sur les directions futures.
J’en suis vraiment très fière, nous avons principalement co-coordonné ces deux ouvrages mais nous avons également écrit quelques chapitres. C’est un ouvrage qui manquait vraiment dans le domaine et dont beaucoup de chercheurs nous parlent depuis sa sortie, ils le trouvent très intéressant et le donnent par exemple comme projet aux étudiants de master.
J’aime beaucoup écrire des livres, j’ai d’ailleurs des projets d’écriture qui j’espère arriveront à bout un jour.

Avez-vous quelque chose à nous partager ?

J'ai deux vies, ma vie avant et après les enfants. J'ai donc deux enfants qui ont aujourd'hui bientôt trois et cinq ans et qui me remplissent de joie.

Dans ma vie d'avant, ce que j'aimais le plus, c'était visiter des lieux historiques et culturels, comme aller musées où aller à l'opéra, voir des expositions d'art. J’aimais beaucoup aller au cinéma, donc voir des films d'auteur (d’ailleurs s’il faut pleurer, c'est génial, et si tout le monde meurt, c’est encore mieux ! [rires]). Mes réalisateurs préférés sont Pedro Almodovar, Michael Haneke, Ken Loach et Yorgos Lanthimos.

J'aime également beaucoup lire des romans. Ma vision est qu'on ne peut vivre qu’une seule vie, la nôtre, dans une époque, une ville concrète et forcément on n'aura pas l'occasion de vivre des vies différentes. Les romans permettent de se mettre dans la peau de personnages qui ont vécu à une autre époque ou ailleurs, et donc de vivre d'autres vies que la nôtre.

Enfin, j’adore cuisiner. Bien sûr, depuis que je suis maman, je cuisine beaucoup moins de plats élaborés. Je vous partage d’ailleurs mon site de recettes préférées.

Biographie express

2024 : Arrivée à l’IRIF en tant que professeure des universités.
2013-2024 : Maîtresse de conférences à l’Université de Versailles—Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ), au laboratoire LMV.
jan-sep 2013 : Post-doctorat à la Danish Technical University (Danemark) dans l’équipe dirigée par Lars Knudsen.
2010-2012 : Thèse CIFRE entre Gemalto et Inria Paris-Rocquencourt sous la direction d’Anne Canteaut.