Claire Mathieu : une scientifique engagée, démissionnaire du Conseil présidentiel de la science Claire Mathieu, chercheuse en informatique et en mathématiques sur la conception et l'analyse d'algorithmes au CNRS à l’IRIF, a obtenu de nombreuses marques reconnaissance dans le monde académique, par sa nomination à la Chaire annuelle Informatique et sciences numériques du Collège de France de 2017 à 2018, suivie de la médaille d'argent du CNRS en 2019. Elle a participé à la conception des algorithmes de Parcoursup. En décembre 2019, elle intègre l'Académie des Sciences, dans la section des sciences mécaniques et informatiques, puis obtient le titre de Fellow de l'EATCS en 2023 pour ses contributions fondamentales aux algorithmes d'approximation, aux algorithmes en ligne et à la théorie des enchères. En 2020, elle est faite Chevalière de la Légion d'honneur. Et fin 2023, elle est retenue pour intégrer le Conseil Présidentiel de la Science. Retour sur une participation éclair mais non pas moins remarquée. I. Nomination au Conseil Présidentiel de la Science Claire Mathieu a été invitée à rejoindre le Conseil Présidentiel de la Science, annoncé par Emmanuel Macron lors de son discours sur la réforme de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le jeudi 7 décembre 2023. Ce conseil, qui n’a pas de président, ne délivrera pas de rapport public. Les discussions se feront en interne. Il pourrait attirer l’attention sur des sujets scientifiques considérés comme potentiellement importants par ses membres. Il devrait se réunir une fois tous les trois mois avec une grande liberté dans les sujets abordés. Un conseiller de l'Élysée a établi, quelques jours avant le discours du Président Macron, un premier contact avec Claire Mathieu, lui proposant d’intégrer ce conseil. À cause de ses opinions politiques qui diffèrent souvent de la politique gouvernementale et sont exprimées publiquement, notamment à travers le réseau social X, Claire Mathieu n’était pas sûre d’avoir sa place dans ce conseil. Néanmoins, ce conseil est conçu pour être ouvert à toutes les opinions. Il ne s’agit pas de servir de caution mais bien plutôt d’une opportunité d'échanges d'idées sur des sujets scientifiques. Elle accepte donc après avoir pris conseil, entre autres, auprès d’un collègue qui l'encourage : « le pire qui puisse arriver est que ce soit inutile. Ce sera toujours intéressant de discuter Sciences avec le Président de la République et de voir comment se passe un conseil de ce genre ». Le jeudi 7 décembre, Claire Mathieu rencontre donc en avant-première les autres membres du Conseil Présidentiel Scientifique. Après une introduction par M. Macron, un tour de table est initié. Claire Mathieu dit trois choses : elle expose la méthode qu’elle utilisera pour travailler : elle s’appuiera sur les avis du conseil scientifique de l’INS2I pour le CNRS, de l'analogue à l'INRIA, du Conseil National des Universités, le CNU et de l'Académie des Sciences. L'ensemble de ces groupes saurait l'orienter, quelle que soit la question, vers le ou les chercheurs spécialistes, pour l’aider à formuler une réponse aux questions posées dans le cadre du conseil. Pour Claire Mathieu, le grand défi de ces prochaines années est la lutte contre le réchauffement climatique. Elle a donc dit son intérêt de parler de ce sujet à travers les aspects informatiques. Enfin, elle s’est également fait porte-parole de la voix de ses collègues qui souhaitaient qu’elle mentionne la lourdeur de la bureaucratie et les entraves à la recherche. Après cette entrevue, dans une salle au plafond « d’où les sciences et les arts nous regardent », le président Emmanuel Macron a présenté devant 300 personnes, la réforme de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, en dévoilant la naissance du Conseil. II. Démission : un acte de conviction Le 19 décembre, la loi immigration est présentée par l'Assemblée Nationale. Pour la chercheuse, catastrophée en tant que scientifique et citoyenne, et qui voit dans cette proposition de loi des idées reprises de l’extrême droite, il devient inimaginable de discuter tranquillement de sujets scientifiques au sein de ce conseil, comme si cette loi n’existait pas. Sa décision, définitive, puisque Claire Mathieu envoie immédiatement une lettre de démission adressée à Monsieur Macron, fut favorablement reçue par ses collègues. Elle reçut beaucoup plus de soutiens et d’encouragements qu’à l’annonce de son intégration dans le conseil. Le monde de la recherche étant naturellement international, on pourrait presque dire que les frontières n’existent pas au sein de ce milieu. L’opposition de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche est donc évidente face à une loi impactant les collaborations internationales pour les chercheurs étrangers qui viennent en France et considérant l’étranger avec suspicion. Claire Mathieu dénonce la perspective d’une société repliée sur le national, et qui, pour le monde de la recherche en particulier, serait un appauvrissement énorme. [Image : Répartition des votes de la loi immigration le 19 décembre à l’Assemblée Nationale: Bleu - Pour (349) Rouge - Contre (186) Blanc - Abstention (38)] III. Ambitions et limites du Conseil : résorber la distance entre scientifiques et politiques En tant que membre de l’Académie des Science, dont une des missions est d'éclairer le gouvernement sur les décisions d'ordre scientifique, Claire Mathieu souhaite aider à rapprocher les scientifiques et les politiques. L’Académie des Sciences tente de créer un contact plus étroit et pérenne entre le monde scientifique et les différents gouvernements depuis ces dernières années. L’importance des avis scientifiques pour éclairer ou non les décisions prises par les décideurs de tous pays pendant la pandémie du coronavirus a renforcé la conscience de cette mission. Pourquoi une telle distance entre ces deux mondes ? Outre l’absence générale de formation politique chez les scientifiques, cela s’explique aussi par le manque de formation scientifique chez de nombreux membres du gouvernement, qui ont pour la plupart suivi une formation de type Sciences Po ou l’ENA. Face aux questions scientifiques aux forts impacts sociétaux, qui deviennent de plus en plus techniques aujourd’hui, ils n’ont pas toujours suffisamment de clés de compréhension pour prendre des décisions avec discernement. Ainsi, en caricaturant un peu, ce conseil pourrait être imaginé comme « 12 professeurs particuliers pour l’élève Macron » sur des sujets scientifiques ; mais il permettra aussi d’attirer l’attention sur des questions qui impactent le bon fonctionnement de la recherche. IV. X : un réseau social contesté Pendant qu'elle faisait partie du conseil, Claire Mathieu avait entamé une analyse critique du discours du 7 décembre sur l'Enseignement supérieur et la Recherche. Elle avait partagé son travail sur X, une plateforme qui, grâce à l'absence de filtres, permet un accès direct aux personnes qui la suivent. Depuis la création de son compte en 2017, la chercheuse a construit une communauté de plus de 4000 followers, composée majoritairement de membres du domaine de l'Enseignement supérieur et de la Recherche en France, lui offrant ainsi une visibilité auprès de ses pairs. Elle a commencé à utiliser cette plateforme pour clarifier des points techniques liés au logiciel Parcoursup, lors de sa mise en application, en réaction aux erreurs factuelles de compréhension qui circulaient sur l'algorithme. Puis, pendant son mandat au conseil scientifique du CNRS, elle a utilisé X pour donner de la visibilité aux recommandations faites par ce conseil sur les sujets liés à l'Enseignement supérieur et à la Recherche. L'ayant initialement perçu comme un espace de dialogue qui permettait un contact direct avec le grand public, elle partage le constat d’une évolution négative de ce réseau social, avec une présence croissante d'intervenants cherchant à diviser plutôt qu’à participer à des discussions constructives. Face à ce changement, sa propre attitude a évolué et elle a ajusté son utilisation de la plateforme. Elle qui cherchait à échanger avec les utilisateurs quel que soit leurs avis, elle bloque désormais toute personne présentant des opinions suscitant une opposition indignée, plutôt que de discuter pour essayer de comprendre ou convaincre. De fait, ses discussions sur X se limitent désormais largement aux membres de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, qu'elle connaît déjà, et elle fait face à un appauvrissement progressif des échanges et débats suite au départ de nombreux utilisateurs de la plateforme. Bien qu'elle prévoie de quitter X à terme, elle estime qu’il demeure toujours, pour le moment, un outil précieux pour informer et échanger avec les personnes qui la suivent. Elle considère important de porter certaines informations à leur attention, telles que les rapports de l’Académie des sciences. Elle souligne également que grâce à ce réseau, elle a pu entrer en contact avec des journalistes aux horizons politiques variés au fil des années. Elle conjecture que ce serait entre autres grâce à la visibilité donnée par Twitter qu’elle se serait fait remarquer par l’Élysée pour rejoindre le Conseil Présidentiel de la Science. Vous pouvez suivre Claire Mathieu sur son compte X.