Rencontre avec David Saulpic, chargé de recherche La tranquillité apparente de David Saulpic cache une énergie débordante. Passionné d'algorithmique, il utilise une partie de sa recherche pour étudier des problèmes de société. Ajouté à cela, la médiation scientifique fait partie intégrante de son parcours. Rencontre avec David Saulpic, nouveau chargé de recherche à l'IRIF. “Mon domaine de recherche principal est l’étude théorique de problèmes de clustering : le but de ces problèmes est de trouver un « bon » résumé d'un d’ensemble de points. […] Depuis plusieurs années, je m'attache également à rapprocher ces travaux algorithmiques de questions de société.” David Saulpic, chargé de recherche | Pôle Algorithmes et structures discrètes - Équipe Algorithmes et complexité Quel est votre parcours et quels sont vos intérêts scientifiques ? Lorsque j’étais au lycée, j'ai découvert l'algorithme grâce à l’association France IOI, qui propose des centaines de petits problèmes qu’il faut résoudre avec des algorithmes. Comme j'aimais vraiment ça, j’ai continué avec une formation de recherche en informatique théorique, qui m’a mené à une thèse à Jussieu, au LIP6. Mon domaine de recherche principal est l’étude théorique de problèmes de clustering : le but de ces problèmes est de trouver un « bon » résumé d'un d’ensemble de points. Ce sont des problèmes NP-difficile auxquelles les questions classiques de l’algorithmique se posent : à quel point peut on approcher la solution optimale ? Quelle est la complexité du problème dans des cas particuliers ? Comment réduire l’espace mémoire utilisé par l’algorithme ? … Depuis plusieurs années, je m'attache également à rapprocher ces travaux algorithmiques de questions de société. Par exemple, avec une équipe mixte (qui mélange des informaticien-nes du LIP6 et de l’IRIF, et un politologue de l’Université Panthéon-Assas), nous menons un travail de recherche sur le découpage électoral en France. Nous avons lancé ce projet pour anticiper un futur redécoupage des circonscriptions législatives, qui avait été annoncé par le président Emmanuel Macron en 2017, et revient régulièrement dans le débat public. Nous voulions pouvoir proposer une méthode pour évaluer à quel point le découpage choisi est « représentatif » de l’ensemble des découpages possibles, et estimer à quel point il est réalisable de manipuler les résultats en choisissant un découpage particulier. Je poursuis également le travail que j’ai entamé lors de mon post-doctorat, que j'ai réalisé à Viennes en Autriche, avec Monika Henzinger à l'Institut des Sciences et Technologies d’Autriche où j'ai travaillé sur des algorithmes qui préservent la confidentialité des utilisateurs, avec la notion de « confidentialité différentielle » (en anglais « differential privacy »). J’y ai développé des algorithmes qui ont cette propriété : grosso modo, ils assurent que regarder le résultat de l’algorithme ne permet pas de reconstruire les données d’entrées. Tout l’enjeu est de construire des algorithmes qui vérifient cette propriété, et qui sont (du moins en théorie) presque aussi efficaces que leurs pendants non confidentiels, afin de diffuser leur utilisation. Quels sont les concepts clés abordés ? J'étudie principalement la notion d’efficacité. Il y a plusieurs manière de la définir, notamment en répondant à la question “qu’est ce qu’un algorithme efficace” ? Une fois qu’on y a répondu, on peut se poser des questions de complexité : “en théorie, avec quelle efficacité peut-on résoudre notre problème” ? Cette efficacité peut être mesurée de plusieurs manière : par exemple, le temps de calcul ou l’espace mémoire utilisé, mais aussi la confidentialité. Chacune donne une nouvelle façon d’aborder les problèmes. D’où vient votre passion pour ce domaine ? Concernant l’informatique, j’ai commencé à la fin du collège, début lycée, dans un un club d’algorithme, France IOI. Pour moi, la recherche en algorithmique, c’est comme résoudre des énigmes, c’est un jeu intellectuel que j’apprécie beaucoup. Mais j’ai aussi toujours eu envie d’être « utile » et d’inscrire mon travail dans un contexte global : en ce moment, j’essaye de choisir des énigmes « utiles » à la société, qui permettent soit de mieux la comprendre, soit qui apportent des réponses à des problèmes que les citoyen-nes se posent. Malheureusement, je n’ai jamais eu de cours d’épistémologie ou de sociologie des sciences. J’essaye de combler ce manque, dans l’idée de comprendre comment le monde de l’informatique théorique interagis avec la société, et comment orienter au mieux mes propres recherches pour aller vers ce que je pense être le bien commun. Qu’est-ce que vous espérez développer à l’IRIF ? Les interactions sociales sont un des aspects les plus importants de mon métier de chercheur. A l’IRIF, je vais pouvoir échanger avec des gens qui travaillent sur des sujets très proches des miens, mais qui ont un point de vue différent – par exemple, quantique ou cryptographique : cela va m’aider à orienter mon travail et développer des nouvelles directions. Je trouve que cette diversité est une vraie chance. Ensuite, je suis vraiment content que le laboratoire montre un réel intérêt pour la médiation scientifique. Justement, vous développez de nombreux projets de médiation scientifique. Qu'est-ce qui vous a donné le goût de la vulgarisation scientifique et pourquoi le faites-vous ? Ce qui m’amuse vraiment, c’est de pouvoir interagir et jouer avec les participants, qu’ils puissent me poser des questions auxquelles je n’aurai pas pensé, de pouvoir voir comment ils s’approprient les thématiques qui leurs sont présentées. Souvent, j’ai une vague idée de comment la présentation est censée se passer, puis au fur et à mesure que l’activité se déroule, les participants s'en emparent, et finalement l’animation ne va pas tout à fait où c’est attendu, ce qui est génial. Quand j’étais enfant, j’ai beaucoup fréquenté la Cité des Sciences et de l’Industrie à Paris ainsi que le Palais de la Découverte. C’est un lieu que j’adorai et où je voyais des scientifiques faire des expériences par exemple avec de l'électricité statique ou de l’azote liquide. Pendant ma thèse, j’ai réalisé une mission doctorale à la Cité des Sciences et j’ai fini par présenter moi aussi ces expériences de physique. Ça m’a donné envie d’essayer d’inventer la même chose, mais avec de l’informatique théorique ! Actuellement, je continue de collaborer avec les équipes de la Cité des Sciences, sur le numérique et les enjeux du quotidiens – par exemple le machine learning, avec l’explosion des modèles génératifs, mais aussi sur des problèmes de confidentialité, d’équité ou d’impartialité liés à la numérisation de la société. On essaye de construire des animations ludiques qui permettent au participant-es de s’approprier un peu mieux toutes ces notions. Quelles seraient les prochaines étapes de votre aventure professionnelle ? À court terme, j’ai surtout envie de sortir de la course à la publication et prendre le temps d’aller vraiment au fond des problèmes qui m’intéressent. Je voudrais aussi découvrir de nouvelles choses, de nouvelles thématiques, et échanger avec les membres de l’IRIF. Ensuite, j’espère réussir à développer ce que j’ai mentionné précédemment : combiner mes travaux en informatique théorique avec un travail « utile » à la société. Quel est ton livre préféré ? J’ai beaucoup aimé le livre Les dépossédés de Ursula Le Guin : le personnage principal, Shevek, est un scientifique à qui se pose la question de l’interaction entre ses savoirs théoriques et le bienfait de leurs applications. Et c’est une question qui traverse aussi le monde de l’informatique théorique ! Biographie express 2024 : Arrivée à l'IRIF 2022-2024 : Post-doc à Viennes, Autriche avec Monika Henzinger 2019-2022 : Thèse à l'Université de Jussieu, au LIP6 avec Vincent Cohen-Addad et Christoph Dürr. Prix Gilles Kahn pour sa thèse.