Rencontre avec Guillaume Geoffroy, maître de conférences à l’Université Paris Cité Co-fondateur de l’association Pi Day, consacrée à la diffusion et à la promotion des mathématiques, Guillaume Geoffroy est très impliqué dans les projets pédagogiques valorisant l’accès aux sciences au public. Rencontre avec celui qui vient de rejoindre l’IRIF en tant que maître de conférences à l’Université Paris Cité. “L’avantage dont disposent les mathématiques et l’informatique théorique par rapport aux autres sciences, c’est qu’il n’y a pas besoin de beaucoup de matériel pour les pratiquer et les faire pratiquer : il suffit d’avoir de l’imagination !” Guillaume Geoffroy, maître de conférences à l’Université Paris Cité | Pôle Preuves, programmes et systèmes - Équipe Algèbre et calcul. Parlez-nous de votre parcours Avant d’arriver à l’IRIF, j’ai effectué un post-doc de 2 ans à l’Université de Bologne en Italie. Cette expérience qui m’a permis de commencer à m’intéresser à la sémantique approchée et à la sémantique des programmes probabilistes. C’était intéressant de changer de thématique, même s’il s’agissait en vérité d’un changement tout relatif : la réalisabilité classique (mon expertise initiale) n’est après tout qu’un autre aspect de la sémantique des programmes. J’apprécie de travailler désormais sur un sujet avec une communauté plus large, et peut-être plus facile à partager car un peu plus concret. De 2015 à 2019, j’étais en thèse à l’Université Aix-Marseille à faire de la réalisabilité classique. Je me considère chanceux : pour beaucoup de gens la thèse est une étape douloureuse, mais j’ai atterri au bon endroit avec les bonnes personnes. L’ambiance était très bonne : nous étions un groupe d’amis plus qu’un groupe de camarades de thèse. De 2013 à 2014, j’ai fait un master à ce qui était à l’époque l’Université Paris Diderot, en logique mathématiques et fondements de l’informatique. Nous avions cours aux étages juste en dessous de l’IRIF : je me rappelle bien les soucis qu’on avait déjà à l’époque pour circuler dans le bâtiment Sophie Germain ! J’ai profité de ce master pour faire un stage de quatre mois en Uruguay. C’était la première fois que je passais plus de 2 semaines dans un pays étranger, et je suis arrivé sans parler pratiquement un mot d’espagnol : je recommande l’expérience ! Aujourd’hui, je suis maître de conférences à l’Université Paris Cité depuis le 1er septembre 2021. J’aime bien partager mon temps entre recherche et enseignement. Ce semestre, j’enseigne en troisième année de licence, dans un cours sur le langage C et les appels système Unix. En quoi consiste votre travail de recherche ? En ce moment, je travaille, entre autres, sur la sémantique des programmes probabilistes. Mon travail consiste à trouver les bons objets formels, le bon langage en quelque sorte, pour décrire ce que fait un programme probabiliste. Pour donner une idée de ce dont il s’agit : imaginez qu’on vous donne un dé, et qu’on vous demande s’il est pipé. Si vous le lancez 100 fois et tirez 80 fois la face six, c’est probablement le cas ! En revanche, si vous obtenez 16 fois un, 21 fois deux, 16 fois trois, 13 fois quatre, 17 fois cinq et 17 fois six, alors il y a des chances que le dé soit équilibré. On peut même quantifier précisément à quel point il est vraisemblable que le dé soit équilibré, en fonction des résultats du tirage : c’est un calcul qui peut se faire à la main, et qui fait partie de la théorie classique des probabilités. Toute la question de la programmation probabiliste, c’est : comment faire tout cela automatiquement ? Étant donnés un « processus » quelconque (par exemple, lancer le dé 100 fois) et des données (le nombre de fois qu’apparaît chaque face), on voudrait obtenir automatiquement la conclusion (le dé est vraisemblablement pipé, ou bien vraisemblablement équilibré). La difficulté est que cela devrait fonctionner pour des « processus » arbitrairement complexes, et pas simplement des lancers de dés. Cela en fait un objectif lointain et certainement impossible à atteindre dans toute sa généralité, ce qui n’empêche pas qu’on puisse chercher à s’en approcher le plus possible. Un autre intérêt qui me trotte dans la tête depuis ma thèse porte sur l’interprétation calculatoire de l’axiome du choix. L’idée est qu’il y a derrière la réalisabilité (intuitionniste ou classique), une correspondance à plusieurs niveaux entre preuves et programmes. L’un des aspects de cette correspondance c’est qu’on peut écrire une preuve et observer ce qu’elle « fait ». C’est comme si on voyait chaque preuve comme un système d’engrenages, et qu’on regardait ce qu’il se passe quand on les fait tourner. Le problème, c’est qu’il y a certains éléments de preuve que l’on ne sait pas encore interpréter comme des programmes, notamment l’axiome du choix : cela veut dire que si vous prenez une preuve qui utilise l’axiome du choix (c’est le cas de beaucoup de preuves !), et que vous cherchez à la voir comme un engrenage, vous obtiendrez un système dans lequel il manque des pièces : impossible de le faire tourner ! Ce que je cherche à faire, c’est trouver quelles doivent être ces pièces manquantes. D’où vient votre passion pour ce domaine ? J’ai toujours été fasciné par les sciences en général : petit, il paraît que je voulais être électricien, « parce que j’aime savoir comment marchent les choses électriques ». J’aime surtout être confronté en permanence à des idées et concepts nouveaux : c’est ce qui m’attire le plus dans la recherche ! Qu’est-ce que vous espérez développer à l’IRIF ? J’aimerais beaucoup reprendre mes activités de diffusion scientifique. En 2015, j’ai co-fondé l’association Pi Day consacrée à la diffusion et à la promotion des mathématiques. Nous produisons notamment des comédies musicales mathématiques. Malheureusement, les réalités de la vie, nomade, de jeunes chercheurs et chercheuses nous ont empêché de continuer. C’est une occupation qui me manque, c’est pourquoi j’ai prévu de reprendre l’organisation de la Fête de la Science à l’IRIF. En plus des ateliers, les moyens sont nombreux pour faire de la communication scientifique ! Je pense qu’il faut faire faire des activités au public, les faire réfléchir, et pas seulement leur raconter des choses. L’avantage dont disposent les mathématiques et l’informatique théorique par rapport aux autres sciences, c’est qu’il n’y a pas besoin de beaucoup de matériel pour les pratiquer et les faire pratiquer : il suffit d’avoir de l’imagination ! D’un point de vue plus carrière scientifique, j’aimerais pouvoir collaborer sur des projets communs. Un projet a d’ailleurs été commencé sur la programmation probabiliste avec plusieurs autres personnes au labo aussi intéressées par ce sujet. Ensemble, nous essayons à la fois de comprendre les outils dont on dispose maintenant pour parler des programmes probabilistes, et de les étendre. Quelles seraient les prochaines étapes de votre aventure professionnelle ? Pour l’instant, je dois surtout encore m’adapter à ma nouvelle situation de maître de conférences avant de penser à la suite. Cela dit, à moyen terme, une des choses qui me plairait serait de m’impliquer dans un projet logiciel collectif qui fasse intervenir mes thèmes de recherche. Peut-être quelque chose en rapport avec la programmation probabiliste ? Avez-vous une anecdote professionnelle à partager ? J’étais en M2 et je cherchais à faire un stage. Par hasard, j’ai rencontré quelqu’un qui travaillait sur la réalisabilité classique. Je lui ai dit que je voulais étudier ce sujet, et très spontanément, il m’a répondu « mais tu veux avoir un travail un jour ? ». C’était la première fois que je me trouvais confronté à l’idée que trouver du travail dans la recherche ce n’était pas du tout acquis ! Un livre à recommander ? Un livre que je recommanderai, au moins aux amateurs de science-fiction, c’est « Dreamsnake » de Vonda McIntyre. C’est l’histoire d’une guérisseuse qui parcourt un monde postapocalyptique à la poursuite d’une énigme biologique : comment naissent les serpents de rêve ? Pour moi, c’est un exemple rare d’une histoire parfaitement racontée, du début à la fin. BIOGRAPHIE EXPRESS 2021 : Maître de conférences à l’Université Paris Cité / IRIF 2013-2014 : Master à l’Université Paris Cité et stage à Montevideo, Uruguay 2015-2019 : Thèse de doctorat à l’Université Aix-Marseille 2019-2021 : Post-doc à l’Université de Bologne, Italie