Hyperactive, Marie Albenque est inarrêtable lorsqu’il s’agit de parler de sujets aussi variés que la science, l’écologie ou la place des femmes dans le milieu professionnel. Rencontre avec celle qui vient de rejoindre l’IRIF en tant que directrice de recherche CNRS.

La combinatoire est un domaine extrêmement riche, qui touche à l’algèbre, à l’analyse, aux probabilités. Mon domaine de recherche plus précis, la combinatoire des cartes, est vraiment à l’interface entre probabilités, combinatoire et physique statistique et je trouve ça particulièrement stimulant de voir ces 3 communautés de chercheurs et de chercheuses interagir . Marie Albenque, directrice de recherche CNRS | Pôle Algorithmes et structures discrètes - Équipe Combinatoire.

Parlez-nous de votre parcours. Avez-vous rencontré des difficultés ?

J’ai eu un parcours plutôt linéaire et classique. En 2002, j’ai intégré l’École Normale Supérieure de Paris. J’ai ensuite effectué ma thèse au LIAFA entre 2006-2008 sur la combinatoire et les probabilités discrètes. De 2008 à 2009, j’ai enchaîné avec un postdoc à l’Université de Montréal. C’est en 2009 que j’ai intégré le CNRS pour la première fois et que je n’ai plus quitté depuis puisque j’occupe actuellement le poste de directrice de recherche. C’est un métier difficile et exigeant. J’ai eu parfois du mal à trouver ma place et à me sentir légitime en début de carrière, cela m’arrive encore aujourd’hui mais heureusement moins souvent ! Actuellement, ce que je trouve le plus compliqué est de réussir à me ménager du temps pour faire de la science sur des projets « long terme ».

En quoi consiste votre travail de recherche ?

Je m’intéresse à la combinatoire, c’est-à-dire que je compte des objets. La motivation pour étudier certaines familles d’objets provient souvent de la physique statistique ou de l’informatique théorique. Les modèles que l’on regarde sont souvent assez simples à décrire et à expliquer. J’aime bien que, derrière cette apparente simplicité, se cachent des outils théoriques profonds. La combinatoire est en effet un domaine extrêmement riche, qui touche à l’algèbre, à l’analyse, aux probabilités. Mon domaine de recherche plus précis, la combinatoire des cartes (qui sont des graphes planaires dessinés sur la sphère), est vraiment à l’interface entre probabilités, combinatoire et physique statistique et je trouve ça particulièrement stimulant de voir ces 3 communautés de chercheurs et de chercheuses interagir.

Quels sont les concepts-clés que vous abordez dans vos recherches ?

Pour étudier les cartes planaires, une approche extrêmement fructueuse est de les coder par des objets plus simples, comme par exemple des arbres avec des décorations. Pour trouver de tels codages, on procède souvent de manière un peu expérimentale. On part par exemple d’une formule énumérative connue, ou on regarde ce qu’il se passe sur des petits exemples et on essaie de voir un motif émerger. Un pan de ma recherche utilise aussi massivement les logiciels de calculs formels pour pouvoir « deviner » la solution de certaines équations et en déduire des résultats énumératifs. Il y a vraiment une partie mathématiques expérimentales dans mes recherches, qui peut être assez addictive.

D’où vient votre passion pour ce domaine ?

C’est une bonne question ! Je me souviens qu’en classe de Terminale j’aimais beaucoup les probabilités. Or les probabilités que l’on faisait à cette époque étaient en réalité de la combinatoire. Lors de mes études, je n’ai pas refait de probabilités discrètes jusqu’à mon stage de M2 à New York, où j’ai suivi un peu par hasard un cours sur la méthode probabiliste, que j’ai vraiment adoré. Quand je suis rentrée en France, j’ai eu la chance de participer aux journées du GT-ALEA qui regroupe les chercheurs et chercheuses travaillant autour de l’alea discret. Je ne savais même pas que ça existait en fait et j’ai vraiment tout de suite accroché.

Qu’est-ce que vous espérez développer à l’IRIF ?

Plein de choses ! J’ai déjà une collaboration en cours avec Dominique Poulalhon et Enrica Duchi, mais il y a plein de personnes au sein de l’équipe Combinatoire de l’IRIF avec qui je pourrai travailler. Pour l’instant, je me contente de profiter de tous les séminaires et groupes de travail qui sont organisés, mais à terme je compte bien mettre la main à la pâte et devenir moteur du développement des activités de l’équipe. J’aimerais également diversifier un peu mes sujets de recherche et me tourner vers l’étude des graphes aléatoires et vers la théorie des graphes en général.

Quelles seraient les prochaines étapes de votre aventure professionnelle ?

Avec cette promotion à un poste de directrice de recherche, j’ai le sentiment que j’ai le devoir de m’impliquer davantage dans des réflexions et des prises de décision sur l’exercice de la recherche, notamment via un prisme féministe et écologique. J’aimerais trouver le temps et la disponibilité pour faire un pas de côté et d’essayer de m’ouvrir aux interactions entre la recherche que je mène et ces problématiques. Comment est-ce que mes travaux de recherche peuvent s’appliquer aux enjeux écologiques par exemple ?

Un livre à recommander ?

Un livre que je recommande est l’essai féministe King Kong théorie de Virginie Despentes. C’est un ouvrage qui m’a beaucoup parlé et que je conseille à tout le monde de lire pour la prise de conscience qu’il éveille. Pour avoir un bref aperçu de son contenu, je vous partage une citation qui parle d’elle-même : « Le féminisme est une révolution, pas un réaménagement des consignes marketing ». J’aime aussi beaucoup le podcast féministe « Un podcast à soi » de Charlotte Bienaimé, disponible sur Arte Radio.

BIOGRAPHIE EXPRESS

2022 - aujourd'hui : Directrice de recherche CNRS / IRIF
2009 - 2022 : Chargée de recherche au LIX / École Polytechnique
2008 – 2009 : Postdoc à l’Université de Montréal
2006 - 2008 : Doctorat au LIAFA
2002 - 2006 : ENS Paris