Rencontre avec Matěj Stehlík, professeur en informatique à l'Université Paris Cité Fasciné par les langues, Matěj Stehlík a présenté des exposés scientifiques en espagnol, portugais, tchèque, français et anglais. Il se dit curieux de tout mais expert en rien. Il aime autant explorer les liens entre les théorèmes que l’étymologie des mots et les relations parfois surprenantes qu’ils peuvent avoir entre eux. Rencontre avec celui qui vient de rejoindre l'IRIF en tant que professeur en informatique à l'Université Paris Cité. « Je n’ai pas tout de suite aimé les mathématiques, c’est plutôt la physique qui m’intéressait. Mon intérêt envers les maths a véritablement émergé après avoir quitté la Tchéquie. J’ai trouvé qu’en Angleterre la façon d’enseigner cette matière était bien plus intéressante et motivante. » Matěj Stehlík, professeur en informatique à l'Université Paris Cité | Pôle Algorithmes et structures discrètes - Équipe Théorie et algorithmique des graphes. Parlez-nous de votre parcours J’ai beaucoup bougé ! Je suis né à Prague mais j’ai déménagé en Angleterre en 1991, lorsque j’avais 14 ans. Là-bas, j’ai fait mes études à Cambridge et à Londres où je suis resté jusqu’en 2003, après ma thèse. Ensuite, direction le Mexique où je suis resté 3 ans d’abord en tant que post-doctorant en mathématiques puis en tant que chercheur permanent à l’Universidad Nacional Autónoma de México (UNAM). Après avoir quitté le Mexique, j’ai fait une série de post-docs courts dans différentes villes : à Prague (Université Charles), à Paris (LIAFA), à Grenoble (G-SCOP), à Kaohsiung en Taïwan (Université nationale Sun Yat-sen) et à Fortaleza au Brésil (Université fédérale du Ceará). J’ai même travaillé comme consultant dans une entreprise américaine pendant un certain temps. En 2010, j’ai obtenu un poste de maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes (UGA) où je suis resté 11 ans. C’est un record ! Finalement cette année, en 2021, j’ai été classé premier au concours des postes de professeurs et je suis venu m’installer à Paris. C’est une ville que j’aime beaucoup, autant pour l’aspect scientifique que pour toutes les autres richesses qu’elle a à offrir. En quoi consiste votre travail de recherche ? Je travaille en théorie des graphes, un domaine à la frontière entre l’informatique et les mathématiques. Les graphes sont des structures mathématiques qui permettent de modéliser les relations binaires entre les objets. Des graphes, il y en a partout autour de nous ! Les réseaux sociaux, les réseaux de transport, le Web etc. … Par exemple, se demander comment aller de l’IRIF au jardin du Luxembourg revient finalement à résoudre des problématiques en théorie des graphes. La plupart de mes recherches concernent le nombre chromatique des graphes, c’est-à-dire, le plus petit nombre de couleurs qu’il faut pour colorier les sommets de sorte qu’aucune arête ne soit monochrome. Le plus célèbre des théorèmes en théorie des graphes affirme que le nombre chromatique de tout graphe planaire est inférieur ou égal à 4. Il s’agit du théorème des 4 couleurs. Il a été prouvé à l’aide d’un ordinateur mais aucune preuve sans ordinateur n’est connue à ce jour. Vous êtes professeur en informatique à l’Université Paris Cité. Qu’enseignez-vous ? Je donne deux cours ce semestre : un cours d’introduction à la programmation en Python de niveau L1 (avec TP et TD) et un cours d’algorithmique des graphes pour les étudiants en L3. Le but de ce cours est de présenter les algorithmes de graphes les plus classiques : les parcours en largeur et profondeur, les algorithmes du plus court chemin, arbres couvrants de poids minimum, flot max… Quelles portes votre cours permet-il d’ouvrir aux étudiants ? Comme je l’ai dit précédemment, les graphes sont partout autour de nous, et j’espère que ce cours aidera les étudiants à reconnaître les situations dans lesquelles il est utile de penser en termes de graphes. Cette perception peut être très bénéfique. L'algorithme PageRank, par exemple (utilisé par Google pour classer les pages web) est un algorithme de graphes. D’ailleurs, j’ai connu plusieurs étudiants qui, après un master ou une thèse en théorie des graphes, ont travaillé ensuite pour Google ou Facebook. D’où vient votre passion pour ce domaine ? Je n’ai pas tout de suite aimé les mathématiques, c’est plutôt la physique qui m’intéressait. Mon intérêt envers les maths a véritablement émergé après avoir quitté la Tchéquie. J’ai trouvé qu’en Angleterre la façon d’enseigner cette matière était bien plus intéressante et motivante. Or à Cambridge, pour étudier la physique, il fallait d’abord étudier les maths. C’est à Cambridge que j’ai été en contact pour la première fois avec les graphes. Dans ma façon de penser, je suis quelqu’un de très visuel. Cette discipline m’a donc immédiatement plu. Aujourd’hui, je m’intéresse surtout aux liens entre les graphes et la topologie, c’est-à-dire la branche des mathématiques qui s’intéresse aux propriétés des espaces invariants quand ils sont déformés continument. Encore là, il s’agit d’un concept très visuel ! Ce que j’apprécie particulièrement en théorie des graphes, c’est que l’on peut avoir des conjectures qui sont très simples à énoncer (mais beaucoup plus complexes à prouver). Ce qui n’est pas le cas de certains domaines plus traditionnels des mathématiques dans lesquels il faut parfois étudier pendant des années pour seulement comprendre la conjecture. La théorie des graphes a l’avantage d’être un domaine assez jeune lié au développement de l’informatique. Au départ, c’était une simple collection de théorèmes mais la discipline s’est beaucoup développée depuis les 50 dernières années. Le fait que Laszló Lovász, l'un des acteurs majeurs du domaine, soit co-lauréat du prix Abel 2021 (l’équivalent du prix Nobel en mathématiques) montre que la théorie des graphes est désormais fermement établie et respectée. C’est très inspirant et motivant pour les années à venir ! Qu’est-ce que vous espérez développer à l’IRIF ? Pour le moment, je souhaite continuer à m’amuser dans la recherche et l’enseignement. Sur le long terme, je souhaite initier des projets avec des collègues de l’IRIF et aussi au niveau international. J’aimerais apprendre de nouvelles choses. Récemment, je me suis par exemple intéressé aux applications des méthodes topologiques qui permettent de donner des preuves d’impossibilité aux algorithmes distribués. Vaste sujet sur lequel il me reste encore beaucoup à découvrir ! Avez-vous une anecdote professionnelle à partager ? Il y a 6 ans, à une conférence à laquelle j’avais été invité à donner une présentation, les organisateurs m’ont demandé de leur fournir un abstract de mon exposé. Je leur avais envoyé un résultat que je n’avais pas encore prouvé en me disant que j’avais encore 2 mois pour le faire. Mais après 2 mois de travail acharné, je n’avais toujours pas prouvé le résultat et j’ai dû admettre que mon travail n’avait pas abouti. C’est seulement 5 ans plus tard que j’ai finalement réussi à le prouver ! Cette expérience personnelle confirme ce que tous les chercheurs savent déjà : les résultats d’une recherche ne se planifient pas. Un livre à recommander ? Pour les passioné.es d’Histoire, je recommande le livre "Histoire d’un Allemand" de Sebastian Haffner. Ce livre m’a été donné par mon directeur de thèse. Il avait trouvé un manuscrit rédigé par son père et a décidé de le publier. Dans cet ouvrage, l’auteur raconte ses expériences personnelles juste avant l’instauration du nazisme en Allemagne (1914-1933). Ce récit m’a beaucoup marqué et m’a aidé à comprendre cette période de turbulence avant la prise de pouvoir des nazis. Pour une lecture plus légère, je recommande les histoires complètement absurdes sur fond d’humour noir du russe Daniil Harms. BIOGRAPHIE EXPRESS 2021 : Professeur d’informatique à l’Université de Paris / IRIF 2010 : Maître de conférences à l’UGA, Grenoble 2005 : Chercheur à l’UNAM, México 2000 : Rédaction de la thèse « Critical Graphs » à l’Imperial College de Londres 1995 : Licence à Cambridge