Passionné par les sciences, Mohammed Foughali (communément appelé « Mo ») a goûté aux plaisirs des métiers de l’enseignement et de la recherche il y a quelques années. Aujourd’hui, pour rien au monde il ne changerait de voie. Rencontre avec celui qui a rejoint l’IRIF en tant que maître de conférences à l’Université Paris Cité.

« Robert G. Ingersoll a dit “as more people become more intelligent, they care more for teachers and less for preachers”. Être enseignant-chercheur est, pour moi, un choix de camp. Dans un monde rongé par la désinformation et les absurdités, mieux vaut faire partie de ceux qui essaient d’incarner la raison. » Mohammed Foughali, maître de conférences à l’Université Paris Cité | Pôle Automates, structures et vérification - Équipe Modélisation et vérification.


Parlez-nous de votre parcours

À la base, je suis ingénieur en électronique. J’ai soutenu en 2008 à l’Université de Khenchela en Algérie. Par la suite, j’ai enseigné la physique-chimie de 2008 à 2011 au lycée. Cette période a marqué une métamorphose profonde à laquelle l’enseignement de ces matières a largement contribué. À travers les années, je me suis irréversiblement éloigné de la construction habituelle d’un citoyen algérien typique dont la vie gravite autour de la religion et de la spiritualité, en faveur d’un rapprochement fusionnel de la science et de la rationalité. Ainsi, ces quelques années d’enseignement ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui : un scientifique absorbé par la quête du savoir et de sa transmission. À ce moment-là, je savais déjà que je voulais continuer à enseigner le restant de ma vie. Mes élèves m’ont incité à plonger dans ce processus permanent de chercher à comprendre et faire comprendre. Chaque jour, j’essayais de leur communiquer ma passion.

J’ai donc continué dans cette voie : de 2011 à 2013, j’ai enseigné les mathématiques, toujours au lycée. Les mathématiques sont à la fois une invention et une découverte. Elles font parler les deux grandes disciplines scientifiques (la physique et la chimie). Cette « trinité » fraye le seul et unique chemin fiable à travers lequel notre espèce peut espérer communiquer avec l’Univers et construire un savoir authentique vis-à-vis de son fonctionnement.

En 2013, j’ai été admis à l’Université Paul Sabatier de Toulouse pour y faire un master en Ingénierie des systèmes temps réels. Cette année a été l’année la plus difficile mais aussi la plus instructive de ma carrière étudiante. J’ai beaucoup appris et j’ai réussi à avoir mon année en me classant 3ème de ma promotion.

En 2014, j’ai poursuivi ma seconde année de master en systèmes intelligents et robotique à l’Université Pierre et Marie Curie (Paris 6). Fasciné par l’interaction entre les différentes sous-disciplines scientifiques, j’ai effectué un stage au laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes (LAAS) à Toulouse, où j’ai pu aborder un travail connectant des théories mathématiques élégantes que j’affectionne (e.g. les réseaux de Petri) à la complexité logicielle des systèmes autonomes. À l’issu de ce stage, on m’a proposé une thèse que j’ai commencée dès octobre 2015 et soutenue en décembre 2018. Pendant ces 3 années, j’ai tout fait pour continuer à enseigner et j’ai poursuivi mes activités en tant qu’ATER de septembre 2018 à août 2019. Alors que la charge d’enseignement était énorme (240 heures sans compter les activités ne relevant pas de l’enseignement classique), cette année était probablement - et paradoxalement - une de mes meilleures années de recherche avec 3 publications à l’appui. J’étais plus déterminé que jamais à poursuivre cette voie.

De 2019 à 2021, j’ai fait un post-doc à Verimag, Université Grenoble Alpes. C’était une période globalement assez dure à cause de la pandémie durant laquelle j’ai publié mais je n’ai guère enseigné. Finalement, j’ai passé les concours en 2021 et j’ai pu enfin reprendre l’enseignement en tant que maître de conférences à l’Université Paris Cité.

En quoi consiste votre travail de recherche ?

En ce moment, j’essaie de développer des méthodes mathématiques pour pouvoir vérifier des systèmes informatiques quelconques. Mes travaux rejoignent mon intérêt pour les interactions entre les différentes branches scientifiques. Je m’interroge sur le fonctionnement des systèmes cyber-physiques (CPS) : comment garantir que ces systèmes fonctionnent comme on veut ? Il existe une multitude de méthodes de vérification qui se heurtent, néanmoins, au fameux problème du passage à l’échelle. Mon ambition consiste à développer des méthodes « holistiques » qui permettront de vérifier des CPS ou autres systèmes informatiques dans leur globalité (une sorte de « theory of verifying anything » avec un clin d’œil au passage au grand Hawking). Il s’agit d’un « rêve » probablement irréaliste, mais pourquoi pas.

Quels sont les concepts clés abordés dans vos travaux ?

Pour l’instant, je travaille avec des méthodes plutôt classiques en relavant le défi de les utiliser sur des systèmes réels. Cela nécessite une interdisciplinarité importante : des méthodes formelles au systèmes temps réels en passant par le génie logiciel. Mon approche se nourrit de la nécessité d’une vision globale qui permet de faire évoluer puis faire travailler des méthodes hétérogènes (venant de communautés différentes) ensemble afin d’établir un cadre de vérification qui passera à l’échelle. Cette approche est au cœur de mes publications récentes, notamment l’article de la revue Journal of Systems Architecture en 2020 ainsi qu’un nouvel article dans la revue Frontiers in Robotics and AI qui apparaîtra prochainement.

D’où vient votre passion pour ce domaine ?

Ma passion pour la science en général et l’informatique (qui, d’ailleurs, constitue une facette flagrante de notre compréhension partielle de l’Univers) remonte à très loin. Elle fait partie de ma manière d’être. Le plaisir que l’enseignement et la recherche me procurent étant unique, je me sens naturellement à ma place au sein de cette communauté.

Qu’est-ce que vous espérez développer à l’IRIF ?

Dans la direction des fameuses approches holistiques, j’ai commencé à travailler avec Eugène Asarin (IRIF), plus précisément dans le cadre du projet franco-japonais CyPhAI. L’une des grandes problématiques à laquelle nous nous intéressons est comment faire en sorte que les systèmes cyber-physiques CPS incluant des composants d’intelligence artificielle puissent être vérifiés ? Ce sujet est d’autant plus important qu’il a déjà fait couler beaucoup d’encre, notamment avec l’accident d’un UBER autonome responsable de la mort d’une cycliste en 2018.

Ce type de projet avec des applications concrètes a une grande importance pour moi. D’un point de vue enseignement, à titre d’exemple, j’ai réalisé au fil des années que les étudiant·es se détachent de la théorie dès qu’ils n’en voient pas l’utilité. Dans la psychologie de l’éducation, les théoriciens parlent alors de “utility values” — montrer systématiquement un apport concret de la théorie augmente sensiblement le taux de réussite dans un cours, surtout dans les cours de mathématiques.

Quelles seraient les prochaines étapes de votre aventure professionnelle ?

Je songe à passer mon HDR dans 5 ans (encore un rêve probablement irréaliste). J’aspire à continuer à faire avancer ma carrière en enseignement et devenir professeur des universités.

Avez-vous une anecdote professionnelle à partager ?

Lors d’un passage expéditif dans l’industrie, j’ai suivi une formation sur des protocoles Fieldbus dans une compagnie privée. Avec ma barbe de 2 jours, je croise le PDG dans les couloirs qui m’a immédiatement ordonné de la raser. J’ai trouvé cela drôle et… un peu ridicule (quel intérêt une tierce personne devrait-elle avoir avec la coupe, ou en l’occurrence l’absence de coupe de ma barbe ? En toute logique, aucun). D’une manière générale, je suis assez dubitatif, voire hostile envers des règles et des constructions, bien que courantes, souvent insensées et/ou inutiles (je trouve par exemple que le vouvoiement et les formules de politesse à rallonge au sein de la communauté scientifique sont synonymes de barrières de communication littéralement fatigantes). En tout cas, la règle dite « zéro barbe » a confirmé que je ne pouvais pas rester dans le privé (alors que, ironiquement, je me rase régulièrement en réalité) !

Une musique à recommander ?

Souvent, je préfère quand les voix humaines n’interfèrent pas avec. Cette tendance est répercutée par une playlist intitulée « Shut Up And Listen » que j’ai construite sur mon téléphone. On y trouve notamment le morceau "Fuori dal mondo", digne de son nom, une merveille du compositeur et pianiste italien Ludovico Einaudi, également la bande originale de l’excellent film britannique This is England.

BIOGRAPHIE EXPRESS

2021 : Maître de conférences à l'Université Paris Cité / IRIF
2019-2021 : Postdoc à Verimag, Université Grenoble Alpes
2018-2019 : ATER à l’Institut National des Sciences Appliquées de Toulouse (INSA)
2015-2018 : Doctorant et doctorant chargé d’enseignement à l’INSA Toulouse
2015 : Master en systèmes intelligents et robotique à Paris 6
2011-2013 : Professeur de mathématiques au lycée
2008-2011 : Professeur de physique-chimie au lycée
2003 – 2008 : Diplôme d’ingénieur en électronique